Des mouchards dissimulés dans les vêtementsÀ un jet de pierre de la frontière française, les rues de San Sebastián, sur la côte nord de l’Espagne, sont constellées de bennes vouées au recyclage des vêtements. Des journalistes du quotidien El País ont choisi l’une d’entre elles pour déposer un jean usagé, dans lequel ils ont dissimulé un minuscule traceur GPS. Ils ont fait de même pour des manteaux, chemises et pulls — 15 au total — versés dans des points de collecte opérés à travers le pays par des associations ou des grandes marques, comme H&M et Zara. Objectif de l’opération : découvrir ce qu’il advient des textiles envoyés à la benne en Europe pour être, en théorie, réutilisés ou recyclés.Onze mois plus tard, la moitié des habits jetés sont toujours géolocalisés en Espagne, entassés dans un entrepôt ou sur un terrain vague. L’autre moitié a été revendue par des réseaux de collecte à des grossistes, qui les expédient ensuite par avion, notamment vers les Émirats arabes unis. Le petit pays de la péninsule arabique est devenu une véritable plaque tournante de la seconde main, comme l’a
découvert El País. Infographie : Pierre Leibovici / Disclose« Cette expérience s’appuie sur un échantillon minuscule, mais elle illustre bien comment des tonnes de vêtements circulent à travers le monde », racontent les journalistes. Ainsi du jean déposé à San Sebastían, qui a transité par Dubaï, avant d’être réexpédié au Ghana, dans l’ouest de l’Afrique. Un périple de 17 000 kilomètres, qui s’ajoute aux plus de 4 000 kilomètres déjà parcourus par le pantalon depuis son lieu de production, en Turquie. Ou quand le « recyclage » aggrave l’empreinte carbone de la mode.L’économie de la fripe en périlC’est dans la capitale du Ghana, Accra, que s’étend le marché de la fripe de Kantamanto, l’un des plus grands au monde. Pas moins de 15 millions de vêtements y changent de main chaque semaine. Des petit·es commerçant·es achètent au poids des paquets de textiles, sans en connaître le contenu. « C’est comme une loterie. On n’a pas le droit de les retourner et on ne connaît la qualité qu’après les avoir ouverts », témoigne Vida Oppong, qui les revend sur les réseaux sociaux.Or, ces dernières années, la commerçante constate une baisse drastique de la qualité des textiles qu’elle réceptionne. Une conséquence directe du développement des friperies occidentales et des plateformes en ligne comme Vinted, où s’échangent les meilleures pièces. « Avant, au marché, on pouvait même trouver du Chanel. Aujourd’hui, les pays du Nord gardent le meilleur et nous renvoient les déchets. C’est du pur colonialisme textile », dénonce Kwamena Boison, cofondateur de The Revival, une association locale dédiée au recyclage. D’après lui, entre 10 et 40 % des textiles envoyés au Ghana sont inutilisables. |